Il flottait comme un air de revanche apaisée lors de l'inauguration du théâtre de Soweto.
Quelques minutes après avoir applaudi la brillante prestation des acteurs de la pièce The Suitcase, Teboho Matseke savourait le moment. "L'apartheid nous a longtemps privés de l'accès à la culture et aux artistes noirs sud-africains, aujourd'hui, ceux-ci vont pouvoir venir ici dans le township, sur une scène qui va célébrer l'ubuntu, notre humanité et notre ouverture vers les autres" se réjouit ce prêtre catholique qui habite à proximité dans le quartier de Meadowlands.
Parmi les 450 invités aux couleurs de peaux diverses, l'ancienne femme de Nelson Mandela, Winnie Madikizela-Mandela lançait aussi une pique à ses frères et sœurs noirs, qui une fois fortune faite après la chute de l'apartheid, ont quitté Soweto pour rejoindre les banlieues résidentielles blanches. "Moi, je suis restée ici avec mon peuple pour développer Soweto".
La construction de cet impressionnant édifice dans lequel s'encastrent trois cubes colorés est une pierre de plus à la révolution irréversible entamée par le plus célèbre township sud-africain.
La veille de la première, un défilé avait ouvert dans un autre quartier de Soweto la toute première Fashion Week de la vaste banlieue noire située au sud de Johannesburg. Ces dernières années ont aussi surgi de terre un hôtel quatre étoiles, un immense centre commercial, un centre de gym aux équipements dernier cri, des restaurants chics.
Les raisons de cette transformation ? L'émergence d'une classe moyenne noire, et la volonté politique des autorités.
Dans l'immédiat, le nouveau théâtre ne sera pas rentable. Un billet d'entrée ne coûtera qu'entre 3 et 6 euros pour attirer un maximum d'habitants des environs. Il survivra grâce aux subventions de la municipalité.
Mais en attirant des grands noms sur scène, les édiles comptent également pousser un public vivant plus loin mais plus aisé à venir (re)mettre un pied dans le township. Objectif : changer leur regard et favoriser les investissements. Les alentours du théâtre ressemblent déjà à un vaste chantier de rénovation urbaine.
Haut lieu de la résistance anti-apartheid, visité par des centaines de milliers de touristes chaque année, Soweto est aussi une vitrine pour le gouvernement de l'ANC soucieux de montrer les progrès réalisés en vingt ans.
Mais dans beaucoup d'autres townships de l'arrière boutique sud-africaine, le changement n'est encore qu'un mot d'ordre qui sonne creux.